SAYNETE 1
Elle siffle le passé dans les ruelles de son exil à travers un air oriental. Les murs menacent de l’engloutir. Mais le chant la porte vers les hauteurs. Elle vêt sa liberté en ailes d’Icare pour qu’elle brûle au soleil. Elle enivre les images de sa jeunesse. Elle ronronne l’attente comme un chat. Elle mord un câlin tendre qui lèche ses moustaches.
Il l’aime.
Mais il ne la comprend pas.
Quoi qu’il arrive, tu seras toujours ma femme, lui avait-il dit un jour. Ainsi, s’est-il marié, a-t-il fait des enfants… avec une autre. Elle est en effet devenue sa toujours putain pour le siècle des siècles. Amen.
- Les vieux amours vont au paradis…
- Les vieux amours ne vont nulle part. Ils errent comme des sorts perdus, de quotidien en quotidien. Ils se disputent, rêvassent, s’exposent aux yeux d’une assiégée inconnue. Ils montent et descendent les escaliers de châteaux médiévaux qui ne se croisent nulle part pour le siècle des siècles.
Elle joue maintenant l’air du vide au bout de ses doigts : vide comme des pots de chambre vides ; des fuites nocturnes ; des rêves à l’autel de la débauche ; des échanges de caresses je-t’-ai-perdu-tu-m’-as-perdu.
Et un jour, ses intestins se sont lâchés et elle a déféqué tout ce qui occupait sa tête : des couches stériles, cent ans de solitude, trois kilos d’oranges mécaniques, des avenirs inconnus de jeunes écoliers… Et son amour.
SAYNETTE 2
Ils étaient encore jeunes écoliers quand il lui a pris la main pour la première fois. Il a failli s’abandonner à son propre abandon. Son cerveau s’est inondé de mer. Des terres bleues comme des oranges ont embué sa pensée. Ses yeux se sont peints à la couleur de ses yeux à elle. Et le monde est devenu bleu et paisible. Il voyait maintenant ce qu’elle voyait. Des miroirs magiques qui reflètent le passé d’hommes sans mémoire, des bocaux dépareillés en verre pour des squelettes humains microscopiques, des chiens qui hurlent la disparition de leur meilleur chat, des bouches sensuelles qui mordent les pommes de la discorde.
Heureusement, il a eu peur juste à temps. Comment a-t-il pu l’échapper aussi belle ? Il a retiré sa main doucement pour ne pas l’effrayer et il est parti sur la pointe des pieds.
SAYNETTE 3
Ce jour-là, les erreurs du passé ont failli l’écraser. Il était monté sur une chaise pour nettoyer la bibliothèque. Il était en train de dépoussiérer les étagères du haut, où il avait empilé tout un tas de livres et des recettes de vie incompréhensibles. Quand il est tombé sur L’Amour aux temps du choléra, il a perdu l’équilibre. Avant de perdre connaissance, il a eu le temps de se rendre compte qu’il se faisait broyer par ordre alphabétique, par les tomes des erreurs du passé qu’il pensait avoir soigneusement rangées aux étagères de son inconscient.
© Evdokia Kimoliati, pour Gonzine n° 3, janvier 2014